Démarche artistique
L’expérience du paysage est avant tout une expérience de soi. Mon intention est d’interroger notre manière de faire corps avec notre environnement pour ressentir et exprimer le rapport à l’espace intime et immédiat. L’effacement de l’identité qui peut s’opérer n’est pas mon propos, c’est plutôt une forme de résistance.
J’ai la volonté de traiter l’image photographique comme un volume et d’aller au-delà des dimensions traditionnelles de la photographie. Dans ma pratique, à la frontière de plusieurs médiums, je crée des installations à partir de mes photographies. J’utilise des vêtements et des meubles usagés. Je ne m’intéresse pas à leur passé individuel, mais plutôt à l’idée qu’ils symbolisent un corps humain. Je crée des installations avec du mobilier de seconde main que je recouvre avec des photographies de nature minérale faites par mes soins. Dans ces installations, je fais coexister du mobilier qui renvoie à la sédentarité et à l’intime, avec des images de roches sédimentaires qui convoquent d’autres imaginaires. Une approche sensible et poétique de ces objets me permet de mettre en place de nouveaux récits. D’oeuvre en oeuvre, les notions de mémoire et d’intime apparaissent en filigrane. Le voyage, les environnements naturels et urbains que je rencontre, sont mes sources d’inspirations principales. J’imagine des paysages qui révèlent l’expression de nos états intérieurs.
Liis Lillo, 2023
Une forme mal définie, un corps à peine dissimulé derrière un vêtement, rejoue les lignes et les couleurs de l’architecture située à l’arrière plan d’un cliché photographique. La série d’images (Habit-A, 2011-2013) prise dans des contrées reconnaissables et d’autres plus lointaines au gré des voyages de l’artiste en Chine ou même dans son pays natal, l’Estonie, résulte d’une action sur le vif. Qu’est ce qui d’emblée notre attention ? L’habitat, l’habit ou le corps absent ? La juxtaposition des trois éléments renvoie à leur propre vacuité, chacun cherchant à redéfinir son statut, entre habitat premier et seconde peau. Le tissu n’étreint pas comme une Demeure d’Etienne Martin. Il sert davantage à déconstruire la forme, la démanteler - qui dérive étymologiquement de manteler « couvrir d’un manteau » - pour engager d’autres écritures. Le projet de Liis Lillo ne serait-il pas alors de retourner à l’expérience du corps dans l’action picturale et plastique ? Dans un premier temps, l’artiste se met en scène dans ses photographies avant d’envisager des travaux sur le mode participatif (Tisser une chambre à soi ; Sous Abris, 2012). Cela relève tant d’une économie de moyens que du désir d’investir physiquement un espace patiemment choisi après de nombreux repérages. Ses actions photographiées dans les espaces publics renvoient aux Needs de Didier Courbot ou encore aux Anarchitekton de Jordi Colomer. Elles tentent de réinsuffler une forme de vitalité, d’humanité à une réalité compacte et homogène qui rend toute ville identique. Le choix d’éléments symboliques comme la colonne (Les cariatides modernes, 2013), dont le diamètre a été défini par Vitruve à partir de la longueur du pied de l’homme, renvoie à de nouvelles aspirations pour l’architecture, moins déshumanisantes. La « colonne sans fin » au titre engagé (Les mains libres, 2012) édifiée à partir de fausses manches censées protéger les habits des chinois durant les activités manuelles revêt cette même dimension critique. D’ailleurs l’artiste convoque le vêtement pour interroger tous les corps ; moral, politique, physique, psychique… D’intime, il devient rapidement interchangeable lors de la manipulation du livre sans reliure Chorégraphie (2012-2013) composé d’images d’habits étendus sur des âmes de bambous à Shanghai. Ce qui pourrait passer pour un simple jeu formel sans conséquence en appelle à une permutation des corps et des identités. Cette dimension affective s’exprime en filigrane, à travers la couleur et les motifs des vêtements choisis, tandis que l’habit s’impose comme concept. L’accumulation du Mur de plis (2014) ou de la Ruche (2014) confère au textile un pouvoir structurant, une densité qui lui permettent de revisiter l’architecture primaire. Dans Adaptation (2012), Liis Lillo s’inspire des traditions du peuple touareg pour cacher ses émotions. Sur ses propres terres, à proximité du lac Peïpus à la frontière de l’Estonie, l’artiste envisage l’espace physique du paysage de glace comme support à une intériorité (En attente du départ de la glace, 2013) et rappelle combien les artistes, exilés volontaires, sont amenés à affronter leurs propres fantômes.
Alexandra Fau
* texte commandé par le Centre d’art au Pavillon Blanc et l’association ACA-PBC à l’occasion du 1er «prix de la jeune création des Amis du Centre d’art-Le Pavillon Blanc de Colomiers», juin 2014