Démarche artistique
Je travaille sur le concept d’habiter au-delà de l’espace architectural et je m’intéresse au réensauvagement comme expression de la résilience : la capacité à se redéployer dans des environnements changeants. Je marche, flâne avec mon appareil photo à la recherche de paysages comme supports à une intériorité. Dans ma démarche, à la frontière de plusieurs médiums, j’ai la volonté de traiter l’image photographique comme un volume. J’ai une pratique d’atelier, passant par l’expérimentation matérielle et utilisant la photographie comme un médium plastique. Mon travail met en jeu des œuvres qui naviguent entre objet et image, entre l’espace intérieur et extérieur.
Dans cette logique, des vêtements et des meubles, symbolisant le corps humain, sont réutilisés. Je crée des installations avec du mobilier de seconde main que je recouvre avec des photographies de nature minérale faites par mes soins. Lors de ma résidence au collège Gabriel Séailles, à l’invitation du Memento – Espace Départemental d’Art Contemporain, j’ai réalisé une installation in-situ intitulée Métamorphisé, composée d’un rideau et d’un casier en bois, inspirée de l’ancienne carrière de marbre de Coulom, près du Castéra-Verduzan. Dans mes installations, le mobilier de seconde main coexiste avec des images de roches sédimentaires qui convoquent d’autres imaginaires. Je souhaite développer une approche sensible et poétique de ces objets, ce qui permet de créer de nouveaux récits. D’œuvre en œuvre, les notions de mémoire et d’intime apparaissent en filigrane.
Mon travail est traversé par la mise en scène dans les environnements naturels et urbains que je rencontre. Ce sont des actions éphémères avec un protocole de travail : une personne, un lieu, un habit avec l’intention d’interroger la manière dont nous pouvons faire corps avec notre environnement. L’habit est notre premier habitat, notre seconde peau. Dans ma série photographique Habit-A, j’explore l’idée de l’abri – qu’il soit textile ou architectural – comme symbole de protection, mais aussi de vulnérabilité. Inspirée des théories de Vitruve, je mesure l’espace à partir du corps humain, point de référence de l’architecture. J’explore ainsi la frontière entre dedans et dehors, les limites de cet espace intermédiaire, cet entre-deux où l’environnement et le soi se rencontrent.
Mon projet de recherche Y être, y rester explore les espèces exotiques envahissantes, comme l’ailante, en tant que ressource pour le textile et symbole d’adaptation. Ces plantes, souvent perçues comme nuisibles, prospèrent dans des environnements perturbés par l’homme. Dans ce projet, je relie leurs migrations à des réflexions plus larges sur les transformations écologiques et humaines.
Dans un autre projet, Si un jour... , je crée des micro-architectures en utilisant des chutes de bois récupérées et mes photographies de paysages, mêlant souvenirs géographiques et imaginaire. Ce travail repose sur l’idée de surcycler mes photographies, leur offrant ainsi une seconde vie.
À travers mes créations, je déplace et active les matières par des gestes d’enveloppement, de recouvrement et de camouflage. Que ce soit avec des matériaux récupérés ou en surcyclant des images de paysages, mon intention est de parler d’adaptation, de transformation et de la manière dont l’intime dialogue avec le monde qui nous entoure.
Liis Lillo, 2024
Comment l’art est-il entré dans ta vie ? et sa pratique?
J’ai l’impression que l’art a toujours fait partie de ma vie. À l’âge de huit ans, mes parents m’ont inscrite dans une école d’art pour enfants en Estonie. C’était une activité extrascolaire, une école "après l’école", que j’ai suivie tout au long de ma scolarité. Depuis, mon intérêt pour l’art n’a jamais faibli. L’art donne un sens à ma vie, c’est ma manière d’exister, une façon d’être.
Ta pratique dépasse la photographie pour inclure des éléments plastiques. Comment cette diversité de supports a-t-elle émergé dans ton travail ?
Mon intérêt pour l’installation et la photographie s’est manifesté dès mes premières années d’études à l’Institut des arts et du design de Toulouse. La photographie était au coeur de tous mes projets, que ce soit comme outil ou comme sujet de réflexion. En troisième année, j’ai réalisé des volumes photographiques en pliant de grandes tôles d’acier recouvertes d’images d’architecture. L’enseignement en école d’art a nourri ma curiosité pour la diversité des pratiques et m’a poussée à explorer les zones de rencontre entre différents médiums. J’ai été particulièrement attirée par ces espaces frontières où les oeuvres échappent aux catégories établies : est-ce une photographie ou un volume ? Cette ambiguïté continue d’alimenter ma recherche artistique.
Que représente pour toi le titre de l’exposition Faire corps avec ? Comment résonne-t-il avec ta démarche artistique ?
Pour moi, Faire corps avec signifie l'idée de fusionner avec ce qui nous entoure, en affirmant que la nature et l'homme sont indissociablement liés. Mon travail explore la frontière entre dedans de dehors, et les limites dans cet espace intermédiaire, cet entre-deux où l’environnement et le soi se rencontrent. À travers mes créations, je déplace et active les matières par des gestes d’enveloppement, de recouvrement, et de camouflage. Mon travail met en jeu des oeuvres qui naviguent entre objet et image, entre l’espace intérieur et extérieur. Dans cette logique, des vêtements et des meubles, symbolisant le corps humain, sont réutilisés. Je crée des installations avec du mobilier de seconde main que je recouvre avec des photographies de nature minérale. Mon travail est traversé par la mise en scène dans les environnements naturels et urbains que je rencontre. Ce sont des actions de courte durée avec un protocole de travail : une personne, un lieu, un habit avec l’intention d’interroger la manière dont nous pouvons faire corps avec notre environnement.
Comment as-tu choisi les oeuvres exposées dans le couloir ? Quel rôle jouent-elles dans l’introduction de ton univers ?
Je ne les considère pas comme une introduction. Pour moi, je vois l’exposition comme un ensemble. Les photographies situées dans les couloirs font lien entre différents projets, c’est le lieu de passage d’un espace à l’autre. J’ai choisi d’exposer dans l’espace du couloir trois photographies de mes différentes projets. Une grande photographie blanche, issu de mon projet En attente le départ de la glace. On peut voir le projection intégrale de cette série dans la salle vidéo. Peipus, une photographie jamais exposée auparavant. Si on regarde bien, on voit une personne parmi les troncs d’arbres noirs. Une photographie issue de la série Y être, y rester. C’est mon nouveau projet de recherche sur l’ailante, une plante classée comme exotique envahissante, exposée dans la petite salle à gauche de l’entrée.
La photographie à coté de l’armoire exposée dans le couloir ne semble appartenir à aucune série. Est-ce un point de départ pour un nouveau projet ou le prolongement d’un travail existant ? Quel est son titre, et que symbolise-t-elle pour toi ?
C’est vrai, c’est la première fois que j’expose cette photographie que j’ai nommé Peipus. Elle me semblait cohérente avec mes autres mises en scène. Je ne fonctionne pas toujours par séries ; parfois, une seule image suffit, et je lui donne un titre sans nécessairement l’inscrire dans un ensemble. Cependant, il serait tout à fait possible de créer une série à partir de mes différentes photographies mettant en scène des personnes se fondant dans le paysage. Cette image s’inscrit donc dans le prolongement d’un travail existant.
Quelle est l'oeuvre que tu considères comme le point de départ dans ta réflexion créative ?
Pour moi, la série Habit-A, exposée dans la grande salle, constitue le point de départ de ma réflexion sur les relations entre habit et habitat, corps et espace. Dans ma pratique, les corps se dissimulent dans l’environnement par un mimétisme des formes et des couleurs. Ces actions, de courte durée, sont réalisées par moi-même ou une tierce personne avec l’intention d’incarner le paysage. Les protagonistes, immobilisés sous un vêtement, se fondent dans la nature ou miment l’architecture. Cette démarche explore la manière dont le corps mesure et dialogue avec l’espace, en écho aux théories de de l’architecte romain Vitruve, pour qui le corps humain sert de référence à la construction architecturale.
Dans la grande salle, comment les différentes oeuvres interagissentelles entre elles ? Y a-t-il un dialogue particulier que tu cherches à établir entre ces pièces ?
Dans la grande salle, j’expose la série Habit-A, mon projet Métamorphisé issu de ma résidence avec le centre d’art Memento, ainsi que diverses installations réalisées avec du mobilier de seconde main. Mon intention est de créer un dialogue entre les meubles, qui symbolisent l’espace domestique, et la nature minérale, source des matériaux utilisés par l’homme pour bâtir ses habitats. Je mets en lumière des habitats précaires tout en évoquant l’idée de réensauvagement, où la nature reprend ses droits. Je cherche à renforcer les liens entre mes photographies de la série Habit-A et les installations avec les meubles, qui rappellent parfois les mobiliers visibles devant les habitats dans mes images.
La série Y être, y rester explore des notions d’ancrage et de permanence. Qu’est-ce qui t'a inspiré pour ce projet, et comment reflète-t-il ta réflexion sur le lien entre le corps, le lieu et le temps ?
En 2024 j’ai commencé un nouveau projet de recherche sur les espèces exotiques envahissantes. Je m’intéresse plus exactement aux plantes dites « invasives ». Ces végétaux, introduits volontairement ou accidentellement par l’homme, sont souvent perçus comme une menace pour les écosystèmes. Ce qui m’intrigue, c’est leur paradoxe : bien qu’elles soient considérées comme nuisibles, ces plantes prospèrent dans des environnements que l’homme a lui même perturbés. Je suis fascinée par leurs migrations, leurs histoires et leurs grandes capacités d’adaptation. L’ailante (Ailanthus altissima), également appelée « arbre du ciel » ou «palmier du ghetto », en est un exemple emblématique. Importée de Chine en France au XVIIIe siècle pour la production de soie, cette plante nourrissait les vers de soie sauvage, une pratique abandonnée depuis. Aujourd’hui, l’ailante s’épanouit dans des zones dégradées, devenant un bio-indicateur des espaces pollués et altérés par l’activité humaine. Mon projet explore l’histoire de ces plantes en tant que ressource pour le textile et interroge la possibilité d’une coexistence durable avec ces espèces dans les paysages du futur. La série photographique Y être, y rester interroge notre rapport aux espèces dites «adaptatives», celles qui, comme les humains, trouvent des moyens de s’acclimater et de prospérer dans des environnements nouveaux. En arrière-plan, cette réflexion sur les plantes envahissantes résonne avec des questions plus larges sur les migrations et l’impact des transformations écologiques.
Y a-t-il des lieux ou des expériences personnelles qui nourrissent particulièrement ta démarche ?
Les paysages au bord du lac Peipus, où j’ai passé une grande partie de mon enfance, sont pour moi une source d'inspiration majeure. Souvent, je m’appuie sur une approche in situ. Par exemple, lors de ma résidence avec Memento au collège Gabriel Séailles à Vic-Fezensac, j’ai travaillé à partir de mes photographies prises dans l’ancienne carrière de marbre de Coulom, près du vieux Castéra-Verduzan. Le projet Métamorphisé qui en est issu a été exposé au collège pendant quatre mois. Pour ma prochaine résidence au Bel Ordinaire, je souhaite également explorer différentes carrières de marbre autour de Pau. L’expérience de vivre ailleurs, combinée au sentiment d’être toujours un peu en décalage avec mon environnement socio-culturel, que ce soit en France ou en Estonie, nourrit également ma réflexion artistique.
Si tu devais expliquer ta démarche à un enfant comment présenterais tu ton travail ?
Je crée des images et des objets qui jouent avec l'idée de se fondre dans l'environnement. Parfois, je me mets en scène ou je demande à d’autres personnes de participer. Je porte des vêtements qui reprennent les couleurs ou les formes des lieux, un peu comme les animaux ou les insectes qui se camouflent pour se cacher ou se protéger. Je prends la forme d’une maison. Je travaille aussi avec des meubles : je les habille avec des images de roches ou de nature, comme si je leur donnais une nouvelle peau. Et puis, il y a les plantes. L’une d’elles, l’ailante, m’a particulièrement inspirée. Elle servait autrefois à nourrir des vers à soie sauvages, appelés bombyx. Cette histoire m’a donné l’idée de fabriquer une robe avec une photographie d’ailantes.
* interview réalisée par Charlène Armengaud dans le cadre de l'exposition personnelle Faire corps avec au Centre culturel Bellegarde en 2025
Liis Lillo est une artiste plasticienne qui manie l’image photographique dans tous ses états, à plat, en relief, en volume et surtout là où on ne l’attend pas. "Faire corps avec" : c’est le titre de l’exposition qu’elle donne à voir au centre culturel Bellegarde et qui se prolonge jusqu’au 10 mai inclus.
Au micro du Magazine, elle vient nous raconter son parcours et son cheminement artistique entre l’Estonie d’où elle vient et Toulouse.
Au micro du Magazine, elle vient nous raconter son parcours et son cheminement artistique entre l’Estonie d’où elle vient et Toulouse.
Au centre culturel Bellegarde (Toulouse) Liis Lillo expose plusieurs séries plus ou moins récentes ou en cours, sous la forme d’images et d’installations, notamment des meubles qui sont des paysages et l’inverse aussi, ça fonctionne aussi dans l’autre sens, des bouts de paysage qui auraient pris la forme de meubles.
Il y a une grande part de jeu dans son travail, le jeu de la métamorphose, un jeu de cache-cache.
Il y a une grande part de jeu dans son travail, le jeu de la métamorphose, un jeu de cache-cache.
La photographe plasticienne fait corps avec la nature, avec l’environnement, avec la nature même de l’image en se jouant de la représentation, même planes ses images creusent ce qu’elles représentent, il y a toujours autre chose à y voir.
Elle travaille avec des matériaux pauvres, des objets de récup, des plantes dites invasives ; elle déjoue les concepts, donne à voir autrement, une autre réalité, une réalité plus complexe, plus épaisse en tout cas, intime et politique à la fois.
Son travail me donne à penser et à ressentir la place de l’être humain dans l’environnement, sa capacité à se fondre dans le paysage, pour faire corps, pour s’incarner, pour mieux habiter, pour y vivre caché aussi peut-être (ne dit-on pas d’ailleurs, pour vivre heureux vivons caché ?), pour y disparaître (la finitude, ici comme une fin joueuse, poétique). Mais quand je dis la place de l’être humain, c’est aussi peut-être la sienne en tant que femme artiste ? Une artiste qui ne cherche pas à se soustraire à son environnement, à l’exploiter ou le dominer mais qui fait corps avec lui...
* texte écrit par Celine Samperez Bedos dans le cadre de l'interview réalisé à la radio Canal Sud
Memory, imagination and reality
Liis Lillo (1987) is a contemporary artist based in Toulouse, France, whose work is characterised by landscape experience. In her works, she uses elements of documentary photography, photo productions and material objects. Lillo has said that by reusing clothes and furniture, she is not interested in their individual past, but rather in the idea that they symbolise the human body. She covers the installations made of used furniture with photos depicting mineral nature.
In the magazine, we show her series Si un jour... (If Once...), where the artist has contrasted real places with the micro-architecture of imaginary places, to investigate how our memory and imagination affect the perception of reality.
How is your creation born? Do you see the finished artwork in your mind's eye and start moving towards it, or on the contrary, do you start looking for a material form for the idea during the process?
When it comes to photo productions, I have a certain feeling that I want to convey. I look for a place, take several photos and finally choose only one of them. Sometimes "happy accidents" can also give a new idea. For installations, I choose furniture according to its forms and try to imagine which photographs of mineral surfaces would suit it. I also do things without knowing for sure if it will become a new project. An idea is important, but it can also arise through process, experimentation and error. The Si un jour... project started during the coronavirus quarantine. I was planning to move and was wondering what I would do with all my old photos. In the end I decided not to move and started to create micro-architectures from photographs and wood left over from my previous works. Si un jour… was born out of recycling and it felt right.
How long have you been working as an artist and what changes and developments do you see in yourself and in your work?
Since finishing my studies at the Toulouse Higher Institute of Arts and Design in 2013, I have officially been a practicing artist. There have been periods when I have not been able to engage in creation. However, this has not meant that I haven't thought about different projects even then. At the moment, my lifestyle and way of thinking are connected with creation, I can't and I don't want to give up art. It is my strength and my lifebelt.
The biggest change happened after 2016, when I got my own studio. There was an opportunity to work in a certain place and also to store things. I was able to experiment and started making photo collages and furniture installations. There have been other things that have also helped me move forward creatively. For example, in 2020 I was able to exhibit all my photo productions in a large format for four months in an outdoor space. For me, it was a retrospective exhibition that allowed me to progress. Currently, I increasingly want to connect photo productions and installations. This year, I have been selected to participate in a mentorship program that takes place at a photography college in the city of Arles. I really hope that this experience will also become a new stage of creativity.
What is the role of photography as a medium in your artwork? Has the practical meaning of its use changed over time?
It's an instrument and content. I am interested in exploring the boundaries between photography and other media. I create installations where it is difficult to tell whether it is still photography or something else. Over time, my work has evolved, but photography is still my tool and subject.
Is it important for you to work on an art project every day, or do you just live and do other things in the meantime?
I don't do creative work every day. There is also a lot of administrative work in my life: emails, accounting, organisation, applications, communication, working with a young audience and also studying. I always complete urgent tasks and only then can I freely devote myself to the creative process. It often happens that there is not much time left for this. My task is to find a balance between these activities. In general, it is the most difficult because there are no rules, you have to create them yourself. Life and creation are connected. This is the lifestyle I have chosen for myself, there is no way to draw a line between them.
* interview issue de la publication par le magazine photos Positiiv, nr° 56, printemps 2024
Une forme mal définie, un corps à peine dissimulé derrière un vêtement, rejoue les lignes et les couleurs de l’architecture située à l’arrière plan d’un cliché photographique. La série d’images (Habit-A, 2011-2013) prise dans des contrées reconnaissables et d’autres plus lointaines au gré des voyages de l’artiste en Chine ou même dans son pays natal, l’Estonie, résulte d’une action sur le vif. Qu’est ce qui d’emblée notre attention ? L’habitat, l’habit ou le corps absent ? La juxtaposition des trois éléments renvoie à leur propre vacuité, chacun cherchant à redéfinir son statut, entre habitat premier et seconde peau. Le tissu n’étreint pas comme une Demeure d’Etienne Martin. Il sert davantage à déconstruire la forme, la démanteler - qui dérive étymologiquement de manteler « couvrir d’un manteau » - pour engager d’autres écritures. Le projet de Liis Lillo ne serait-il pas alors de retourner à l’expérience du corps dans l’action picturale et plastique ? Dans un premier temps, l’artiste se met en scène dans ses photographies avant d’envisager des travaux sur le mode participatif (Tisser une chambre à soi ; Sous Abris, 2012). Cela relève tant d’une économie de moyens que du désir d’investir physiquement un espace patiemment choisi après de nombreux repérages. Ses actions photographiées dans les espaces publics renvoient aux Needs de Didier Courbot ou encore aux Anarchitekton de Jordi Colomer. Elles tentent de réinsuffler une forme de vitalité, d’humanité à une réalité compacte et homogène qui rend toute ville identique. Le choix d’éléments symboliques comme la colonne (Les cariatides modernes, 2013), dont le diamètre a été défini par Vitruve à partir de la longueur du pied de l’homme, renvoie à de nouvelles aspirations pour l’architecture, moins déshumanisantes. La « colonne sans fin » au titre engagé (Les mains libres, 2012) édifiée à partir de fausses manches censées protéger les habits des chinois durant les activités manuelles revêt cette même dimension critique. D’ailleurs l’artiste convoque le vêtement pour interroger tous les corps ; moral, politique, physique, psychique… D’intime, il devient rapidement interchangeable lors de la manipulation du livre sans reliure Chorégraphie (2012-2013) composé d’images d’habits étendus sur des âmes de bambous à Shanghai. Ce qui pourrait passer pour un simple jeu formel sans conséquence en appelle à une permutation des corps et des identités. Cette dimension affective s’exprime en filigrane, à travers la couleur et les motifs des vêtements choisis, tandis que l’habit s’impose comme concept. L’accumulation du Mur de plis (2014) ou de la Ruche (2014) confère au textile un pouvoir structurant, une densité qui lui permettent de revisiter l’architecture primaire. Dans Adaptation (2012), Liis Lillo s’inspire des traditions du peuple touareg pour cacher ses émotions. Sur ses propres terres, à proximité du lac Peïpus à la frontière de l’Estonie, l’artiste envisage l’espace physique du paysage de glace comme support à une intériorité (En attente du départ de la glace, 2013) et rappelle combien les artistes, exilés volontaires, sont amenés à affronter leurs propres fantômes.
Alexandra Fau
* texte commandé par le Centre d’art au Pavillon Blanc et l’association ACA-PBC à l’occasion du 1er «prix de la jeune création des Amis du Centre d’art-Le Pavillon Blanc de Colomiers», juin 2014